mercredi, février 22, 2017

La question de l'audience

Depuis que je sors des disques, c'est à dire depuis 1994, s'est toujours posé la question de l'audience. Puis on m'a posé des questions, dans cet exercice promotionnel que l'on nomme entrevue ou interview. Puis les années ont passé. Et la question de l'audience a dévié, laissant la place à la question de la reconnaissance. Selon les années on m'a demandé si le succès m'importait ou non. On employait le terme de la mauvaise façon, confondant le succès avec la notoriété. Le premier arrive lorsqu'on atteint un but fixé préalablement. Le deuxième arrive quand un certains nombre de facteurs se conjuguent.
Quoiqu'il en soit on m'a souvent demandé si oui ou non j'aurais aimé avoir plus de reconnaissance du public. Cette question est embarassante car pour y répondre correctement il faut un mélange de franchise et de précision qui donne le vertige.
Est ce que j'aurais aimé cela? Non. Cette réponse me vient immédiatement lorsque je me replonge dans les années 90. A cette époque, je ne pensais pas un instant à la reconnaissance populaire, tout simplement car j'avais bien d'autres soucis à gérer sur le plan personnel. En revanche, je me demandais comment atteindre une zone de confiance avec un producteur qui me laisserait loin de ce genre de questionnement. Donc, d'une certaine façon, sans m'en rendre compte, je dois bien avouer que j'espérais obtenir la reconnaissance d'un producteur pour aménager une zone de création sereine. C'etait une porte d'entrée que j'imaginais enviable. Puis, plus tard j'ai essuyé le manque de promotion et la frustration qu'elle engendre. Je sors un disque, il est difficile à se procurer, et la promotion ne suit pas. Dans ce genre de situation les efforts fournis pour créer un disque semblent soudain perdre leur sens au moment où devient impossible la diffusion de cet enregistrement. Donc, si frustration il y'a, c'est que espoir il y'avait de devenir massivement entendu. Certes, ce sentiment était enfoui, mais il devait être présent. Encore un peu plus tard j'ai connu la situation de la diffusion promise et combinée à la promotion correctement effectuée, résultant pourtant sur une maigre vente, c'est à dire une faible reception du disque. Un bide, en somme. Cette situation vient carrément détruire la confiance en soi, celle la même qui donnait jadis l'élan de réaliser quelque chose. La phrase "pour qui tu t'es pris" fait alors son apparition. Avec elle tombe alors le masque crédule qui servait à se raconter que "non, moi, vraiment, ce que pensent les gens, je m'en fous". Que dalle. Ce que pensent les gens influent énormément. Si ils aiment une de nos productions, on va la trouver bonne. Si ils n'aiment pas, on la trouvera mauvaise. Si le public aime me voir hurler dans un micro et qu'ils applaudissent, j'en viendrai a penser que c'est chouette quand je hurle dans un micro. Si ils n'aiment pas mes chansons douces, j'en viendrai à penser que mes chansons douces sont nazes. C'est ça, l'impact.
De la même façon, j'ai vu des gens perdre leur confiance en eux, et même perdre certaines de leurs facilités uniquement a cause du manque d'applaudissements. J'ai aussi vu des musiciens répéter à l'infini certaines de leurs manies musicales uniquement car le public avait applaudi massivement et que "ca, ca a marché pour moi il y'a des années, c'est une valeur sûre". Il n'y a pas de valeur sûre. Car tout change tout le temps. De même il n'y'a pas de mauvaise façon de faire. Ce que le public déteste aujourd'hui, il l'aimera peut étre demain, retournant sa veste sans sourciller. Et nous, musiciens, sommes prêts à nous croire incorruptibles alors qu'un applaudissement nous fait prendre le melon et qu'un bide détruit la confiance en nous. Le succès populaire est un danger, tout comme les bides à répétition en sont un aussi. Le premier nous fait croire qu'on sait tout, le deuxième nous fait imaginer qu'on n'a rien compris. Le premier nous empêche la remise en question quand le deuxième nous ferait tout abandonner. Le premier nous fait dire des "ca fait 22 ans que je fais ce métier", le deuxième nous fait dire des "aujourd'hui tout fout le camp et ca sera de pire en pire". Les deux sont des illusions. Publier un disque qui ne se vend pas écrase la passion. Je peux en témoigner. Cela met le panache a rude épreuve. Je pense qu'il y'a quelque chose à trouver derrière, qui nous rappelle les raisons de nos actes. Ce défi m'est proposé depuis plusieurs années, depuis toujours. J'ai choisi de luter contre ce poison en apprenant en permanence de nouveaux instruments, de nouvelles formes. C'est ma façon de luter. Je ne veux pas être polué par ces considérations stériles durant mes enregistrements, car c'est une affaire qui concerne mon égo face à la providence. Or l'égo n'a rien à faire là durant une période de créativité.
La question de l'audience est cruciale, mais on peut tenter de s'en détacher. Au moins par hygiène. Un defi quotidien. 

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